Il manque encore un "saut conceptuel" pour que les machines acquièrent des capacités d'intelligence se rapprochant un tant soit peu de celles des animaux ou des humains, a estimé jeudi le chercheur Yann Le Cun, l'un des pères de l'intelligence artificielle moderne.
Aujourd'hui, une intelligence artificielle peut apprendre "à accomplir des tâches étroites, très spécialisées, pour lesquelles on a beaucoup de données" pour l'entraîner, a expliqué vendredi à des journalistes M. Le Cun, qui dirige aujourd'hui la recherche fondamentale en intelligence artificielle chez Facebook
Une intelligence artificielle peut ainsi accomplir des prouesses inaccessibles aux humains en matière de traduction, ou de reconnaissance d'images, en étant entraînée avec des millions de pages ou des millions d'images.
"Mais ce que nous n'avons pas, ce sont des techniques d'apprentissage qui permettraient aux machines d'apprendre comment fonctionne le monde, un peu à la manière des animaux ou des humains", a poursuivi M. Le Cun.
"Qu'est ce qui fait qu'une personne peut apprendre à conduire une voiture en une vingtaine d'heures d'entraînement, alors que si on voulait utiliser les méthodes actuelles pour entraîner une voiture à se conduire toute seule, il faudrait qu'elle conduise des millions d'heures et cause des dizaines de milliers d'accidents?"
Aujourd'hui, Yann Le Cun focalise ses recherches sur "l'apprentissage auto-supervisé", qui tente de reproduire dans une machine les mécanismes qui permettent par exemple à un bébé "d'apprendre simplement en observant le monde".
"Mon hypothèse: ce type d'apprentissage est fait par prédiction. Nous entraînons notre système visuel à prédire à quoi va ressembler le monde dans la demi-seconde qui suit. Au bout d'une demi-seconde, on observe ce qui se passe, et on peut corriger notre modèle du monde pour à l'avenir faire une meilleure prédiction", a-t-il détaillé.
Aujourd'hui, la machine arrive à reproduire ce comportement pour des choses simples, comme prédire la suite d'une phrase. Mais lui apprendre à prédire la suite d'une vidéo par exemple est encore beaucoup trop complexe, explique Yann Le Cun. "Il faudra un saut conceptuel dans ces méthodes d'apprentissage supervisé. Une fois qu'on aura ces méthodes, on va faire des progrès assez rapides", assure-t-il.
L'ingénieur, informaticien et mathématicien présentait à Paris son autobiographie, "Quand la machine apprend", parue aux éditions Odile Jacob, où il écrit que si les intelligences artificielles "ont aujourd'hui moins de bon sens qu'un chat", un jour elles auront "une forme de conscience" et des "émotions".
Faut-il en avoir peur? "L'intelligence artificielle peut-être mise au service du progrès, ou pas. Nous devons être vigilants", prévient-il.
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