La commercialisation en cette année 2020 des premières offres 5G va évidemment donner naissance à de nouveaux usages. Mais pour Thomas Pagbe, journaliste chez IT for Business, elle va surtout faire passer un palier aux usages actuels en leur offrant un niveau de qualité totalement inédit.
L’une des caractéristiques de la 5G est qu’elle va diviser par dix les temps de latence par rapport à la 4G. Pouvez-vous nous donner des exemples de scénarios où cette latence va faire la différence ?
Thomas Pagbe : Pour se rendre compte du faible temps de latence offert par la 5G, il suffit de se dire qu’il est inférieur au temps qu’il vous faut pour cligner de l’œil. En termes de nouveaux usages, nous avons pu voir au dernier Mobile World Congress des démonstrations de voitures autonomes fonctionnant grâce à la 5G. La très faible latence du réseau permet à ces véhicules de prendre des décisions très rapidement, en se basant sur les données collectées par les capteurs embarqués, et donc de réagir en temps réel aux conditions de circulation.
Mais on peut aussi s’intéresser à la télémédecine. La téléconsultation est déjà une réalité aujourd’hui, mais avec une latence proche de la milliseconde, il deviendra possible de passer au stade supérieur en développant la télé-opération. À l’aide d’instruments robotisés, un chirurgien à Mulhouse pourra réaliser une intervention sur un patient à Aix-en-Provence. Dans un contexte où chaque seconde et chaque geste peuvent avoir une importance vitale, le moindre de ses mouvements sera immédiatement répercuté.
On peut enfin penser au jeu vidéo. Avec la 5G, le jeu multijoueur mobile sera enfin une réalité. La 4G autorise déjà beaucoup d’usages vidéoludiques mais la latence n’est pas au rendez-vous, ce qui rend impossible le jeu à plusieurs. La 5G va aussi accompagner le développement du cloud gaming. Ces quelques millisecondes d’écart entre l’action réelle du joueur et la réaction virtuelle du personnage, qui peuvent faire la différence entre une victoire et une défaite, seront de l’histoire ancienne.
En termes d’usages mobiles, comment la 5G va-t-elle transformer le quotidien des professionnels ?
Pour les usages mobiles quotidiens des professionnels, la 5G sera davantage une évolution qu’une révolution. Nous n’allons pas vivre une bascule aussi importante qu’avec le passage de la 3G à la 4G. Pour une utilisation nomade classique, qui consiste à consulter son CRM ou son ERP et envoyer des mails, la 5G ne fera pas de grande différence. En revanche, les usages déjà en place vont connaître une vraie évolution en termes de qualité.
La voix par exemple, qui reste l’usage mobile le plus classique. Lorsque vous êtes en 4G, le terminal rebascule en 3G pour transmettre la voix. La 5G autorise quant à elle une convergence complète des réseaux voix et données. Les opérateurs qui proposeront cette technologie Vo5G (Voice over 5G) offriront à leurs clients une qualité d’appel bien supérieure.
Autre exemple, la vidéo. La 4G a déjà fait exploser la consommation de vidéos sur mobile. Mais la 5G va amener ces contenus en 4K ou 8K sur les terminaux qui le supporteront. Là encore, même usage, meilleure qualité.
On associe beaucoup la 5G aux notions d’hybridation des réseaux et de continuité d’activité. Qu’est-ce que cela signifie concrètement pour les entreprises ?
Les entreprises ont déjà aujourd’hui des mesures de continuité d’activité. Mais lorsque l’on passe d’un lien principal en fibre à un lien de secours en 4G ou en sDSL, la déperdition est importante et les performances des applications s’en ressentent. Avec une stratégie de repli sur un réseau 5G, les organisations pourront avoir une continuité de service, mais également une continuité de qualité.
Et sans même parler de redondance, la 5G va également permettre aux opérateurs d’offrir des débits très rapides dans des zones où il serait difficile et extrêmement coûteux de déployer de la fibre optique. Si l’on observe les Etats-Unis, où les premières offres sont déjà commercialisées, le premier usage est celui de la connexion internet classique. Plutôt que de passer par le réseau filaire, les abonnés utilisent une box reliée au réseau 5G pour obtenir davantage de performances.
Les infrastructures réseaux vont également évoluer. Comment vont-elles être déployées et quelles sont leurs avantages ?
Cela fait maintenant des années que les opérateurs déploient des antennes pour que les abonnés installés autour puissent s’y connecter. Ces équipements mesurent plus de 12 mètres et sont installés sur des points haut afin que la couverture soit la plus large possible. La 5G va revoir cette philosophie. Les constructeurs comme Ericsson, Huawei ou Nokia ont conçu des boîtiers de la taille d’une boîte à chaussures.
Et contrairement aux antennes 4G, qui diffusaient le réseau dans toutes les directions sur un certain rayon et dont le signal perdait en puissance avec la distance, les antennes 5G exploite une technique de beamforming. C’est-à-dire que le signal sera dirigé directement vers le terminal connecté et non plus disséminé de manière éparse. Plus besoin donc de placer les équipements en hauteur. Cette avancée technique couplée à la miniaturisation du matériel va permettre d’installer des relais partout et de créer un réseau bien plus dense qu’avec la 4G.
Un acteur du e-commerce comme Amazon peut exploiter cette densité dans de nouvelles méthodes de livraison par drone. L’entreprise procède d’ores et déjà à des tests et les drones peuvent plus facilement naviguer jusqu’à l’adresse du destinataire grâce à cet important maillage d’antennes.
Comme les drones, des milliards de nouveaux objets se connectent chaque année à Internet. La 5G est-elle la fondation dont l’IoT a besoin pour continuer son développement ?
La 5G a été pensée à la fois pour les humains et les objets. Il existe déjà aujourd’hui des réseaux dédiés aux objets connectés, comme Sigfox par exemple, qui favorise l’échange de petits volumes de données entre objets. La 5G permettra, par sa densité et ses performances, de connecter en temps réel un nombre vraiment très importants d’objets et de faire transiter davantage de données pour une remontée d’information beaucoup plus riche, avec de la vidéo par exemple.
Dans le monde industriel, cela permettra de connecter un grand nombre d’équipements pour connaître leur état à distance. Plus besoin d’envoyer un technicien de maintenance pour vérifier si les composants d’une machine doivent être changés ou si les consommables sont bientôt épuisés. C’est la machine elle-même qui enverra une alerte lorsqu’une intervention sera nécessaire.
Est-ce que les entreprises doivent dès maintenant se diriger vers la 5G en se préparant à déployer des technologies compatibles ou vaut-il mieux attendre que le réseau gagne en maturité ?
La 5G est un moyen et non une fin. Il faut toujours corréler la technologie à l’usage. La question n’est pas tant, « faut-il oui ou non utiliser la 5G ? », mais plutôt, « est-ce que mon business a besoin de plus de performances ? ». Si une entreprise a besoin d’une connectivité 5G pour améliorer son offre et éviter que ses clients ne partent chez un concurrent, il est clair qu’elle a tout intérêt à s’y intéresser dès maintenant.