Avec la crise sanitaire, qu’est-ce qui a changé dans la manière de travailler des collaborateurs ? Quelles ont été les évolutions en entreprise, notamment en ce qui concerne le télétravail ? Christophe Nguyen, PDG d’Empreinte Humaine, un cabinet spécialisé dans la prévention des risques psychosociaux et de la qualité de vie au travail, partage avec nous son analyse.
Aujourd’hui, quand on évoque la situation des travailleurs en cette période de crise, on parle beaucoup de la santé mentale. C’est justifié selon vous ?
Oui, c’est adapté. L’application d’un « télétravail forcé » a notamment contribué à faire ressortir les difficultés individuelles liées au confinement, ce qui englobe toutes les fragilités que peuvent avoir les gens. Cela concerne les fragilités sociales, associées au faire d’être confiné avec ses proches et d’être isolé du reste du monde, mais pas seulement. Il y a également des problématiques d’organisation et de fonctionnement qui ont créé beaucoup de tensions et des problèmes de santé mentale et psychologique, ce qui s’exprime tout d’abord par de la détresse psychologique. Si la crise n’est pas encore terminée, nos études sur l’impact de cette crise sanitaire sur l’état psychologique des salariés français ont déjà pu mettre en évidence, auprès d’environ la moitié des salariés français, une détresse psychologique qui peut se développer avec l’apparition de troubles mentaux, comme des phobies, de l’anxiété, des syndromes de stress post-traumatique, des troubles anxieux au sens large.
Ce constat est donc associé au confinement et à la crise au sens large. Dans cette perspective, qu’en est-il de la place du télétravail ?
Les études montrent que le télétravail n’est pas un facteur de risque en soi, pas plus qu’une autre organisation de travail. On constate même que pour beaucoup de salariés, le télétravail a été salvateur, en termes de santé. Parce que, durant le confinement, il a permis d’avoir encore une activité de travail, et une activité sociale aussi, en dehors des personnes avec qui on était confiné, de pouvoir aussi avoir un lien et de se protéger par rapport au risque psychologique engendré par cette pandémie.
En parallèle, un tiers des salariés considère que le télétravail a été une contrainte. Et pour ces personnes, un télétravail contraint est tout l’inverse d’une manière efficace de travailler, qui doit se baser sur l’autonomie, la liberté et l’organisation. Pour eux, cela s’est traduit par une détresse psychologique plus importante encore, pouvant engendrer encore plus de risques sur la santé. En plus de ce tiers, qui en a donc souffert, on peut aussi ajouter une infime minorité qui ne veut pas télétravailler du tout. Là, c’est encore une autre histoire.
Si une forte majorité des collaborateurs ont bien accepté le télétravail, qu’en est-il du management en entreprise ?
Manager à distance, ce n’est pas juste faire la même chose que dans un bureau chez soi. Cela a permis de repositionner les choses. Beaucoup de managers se sont rendu compte que ça fonctionnait, parce qu’étant eux-mêmes en télétravail, ils se sont aperçus qu’ils pouvaient compter sur leurs équipes, même à distance.
Mais il y a quand même une partie des managers qui résument le télétravail à « c’est mieux que rien », mieux que le chômage partiel. Ceux-là ne veulent pas que la situation s’installe. Ils étaient contre avant, ils ont accepté parce que c’était mieux que rien, et ils sont ensuite revenus à leurs vieilles habitudes. Leur réaction est souvent « je ne fais pas confiance à “télé” dans le télétravail ». Dans ce genre de cas, on alerte généralement sur le fait que cela crée des tensions et des incompréhensions. Est-ce pertinent de faire revenir les collaborateurs au bureau alors que la situation n’est pas encore stabilisée ?
Donc le rejet du télétravail par une partie du management serait davantage lié à une question de confiance qu’une question de logistique, d’équipement informatique… ?
Je pense effectivement que l’enjeu n’est pas technique, mais humain. Nous sommes tous d’accord pour dire que l’ordinateur portable, le smartphone, les mails, les outils collaboratifs et les réunions en visioconférence fonctionnent très bien, mieux que jamais. Techniquement, tout est ok, humainement, c’est autre chose. Il y a effectivement les managers qui ont des soucis de confiance et ne sont pas formés pour gérer le temps de travail de leurs équipes à distance. Mais il y a aussi des fractures qui peuvent se créer entre les salariés, entre eux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne peuvent pas. On l’a bien vu durant le confinement : un tel clivage peut créer une culpabilité de ne pas être sur le terrain, en particulier, par exemple, quand le manager peut travailler à distance, mais que son équipe ne le peut pas.
Et puis il ne faut pas négliger les fractures générationnelles. Certains collaborateurs ont été confrontés à des outils qu’ils ne maîtrisaient pas et ils ont tout simplement décroché, certains ont disparu des radars, n’assistaient pas aux réunions en visio… Beaucoup de managers l’ont pris en compte, en appelant les salariés pour savoir comment ça allait et essayer de trouver des solutions. C’est un sujet qui se voit moins en présentiel.
Pour vous, le « monde d’après » pourrait mettre le télétravail au cœur des méthodes de travail de l’entreprise ?
Actuellement, nous sommes plutôt dans le « monde d’à peu près » : le télétravail va perdurer encore un moment, durant au moins quelques mois. Et sur cette longue période globale, il est évident que le télétravail va remettre beaucoup de choses en question au sein des entreprises. Les attentes des salariés évoluent aussi bien en matière de management que d’équilibre de vie. Avec la crise actuelle, les gens éprouvent davantage le besoin de passer du temps avec leurs proches, de faire des choses essentielles, et de moins se focaliser sur le travail.
Cela se ressent à travers les études réalisées. Nos enquêtes montrent que 6 salariés sur 10 ont revu leurs priorités cette année. Un tiers explique avoir « réorienté le sens de leur vie ». Certes, tout n’est pas lié au travail et au télétravail, mais il me semble essentiel que les entreprises se concentrent davantage sur le bien-être des salariés. Le vrai bien-être : on ne parle pas d’une corbeille de fruits ou d’une table de ping-pong dans les bureaux. On parle plus de reconnaissance, de soutien et d’entraide.
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