03Qu’est-ce que la Blockchain, et comment les entreprises peuvent-elles en tirer des avantages ? Alexandre Stachtchenko, conférencier et spécialiste de la Blockchain, a répondu à nos questions à ce sujet.
Alexandre Stachtchenko est co-fondateur et directeur général de Blockchain Partner. Il conseille et accompagne les entreprises désireuses de se lancer dans l’aventure de la Blockchain. Il a répondu à nos questions au sujet de cette technologie qui reste aujourd’hui encore bien mystérieuse pour plus d’un DSI.
Comment expliquez-vous ce qu’est la Blockchain aux DSI et entrepreneurs qui s’interrogent à son sujet ?
Pour faire court, la Blockchain est la première technologie qui permet de gérer de la rareté numérique et de transférer des actifs de valeur – de la valeur, en ligne, sans intermédiaire.
Allons un peu plus loin : Internet est un outil génial pour l’information, il copie pour pas cher. Mais il est important de comprendre la différence entre copier et transférer : si l’on compare un email avec une carte postale, l’email, on l’a toujours même après l’avoir envoyé, et la carte postale, lorsqu’on l’envoie, on ne l’a plus. Et c’est une vraie différence fondamentale, mais qui a beaucoup de conséquences embêtantes par exemple dès que l’on cherche à gérer quelque chose qui est rare ou qui est unique, puisque, par définition, quelque chose qui existe dans le monde numérique n’est pas unique. On peut la copier des dizaines de milliers de fois et personne ne saura quelle est l’originale. C’est la raison pour laquelle les documents juridiques ne se font pas en ligne, car on ne sait pas quand un document est original. Une fois que l’on a compris ce problème, on comprend ce que vient régler la Blockchain, avec Bitcoin en premier lieu. C’est le fait de créer de la rareté numérique.
Second problème : échanger de la valeur en ligne, sans passer par un intermédiaire. En général, l’échange de valeur se fait via un intermédiaire, un tiers de confiance : on ne se sait pas gérer de la valeur en ligne, donc qu’est-ce qu’on fait ? On demande à une banque de gérer son compte en banque, par exemple. Ce que permet Bitcoin et la Blockchain, c’est de faire ce transfert-là, cette gestion de la valeur, cette gestion de registre, si on veut, sans passer par un tiers de confiance. Et c’est majeur, car évidemment, des choses qui ont de la valeur, il y en a beaucoup : il y a l’argent, évidemment, mais il y a aussi les titres financiers, les votes, les points de fidélité… Tout ce qui a de la valeur, tout ce qui est rare, on peut désormais les gérer en ligne, sans passer par un intermédiaire de confiance. La Blockchain, et les cryptomonnaies de façon générale, sont à la valeur ce qu’Internet est à l’information.
Considérez-vous que les entreprises sont aujourd’hui bien informées sur ce qu’est la Blockchain ?
Cela dépend des industries : certaines s’y sont intéressées beaucoup plus tôt que d’autres, comme l’industrie financière, puisque ça la concerne en premier lieu. Les banques utilisent beaucoup de Blockchains, mais ce n’est pas vraiment de la Blockchain au sens où on l’entend, de la Blockchain d’innovation, de rupture.
Aujourd’hui, les entreprises pour la plupart sont quand même peu informées sur le sujet, parce qu’il est complexe. Très souvent, soit elles n’ont pas d’informations, soit elles sont allées chercher des informations qui ne sont pas forcément bonnes. Pour autant, les choses s’améliorent d’année en année.
On pourrait faire la même analyse sur l’État en général et Bercy en particulier. Ça a évolué très vite, surtout l’an dernier. Je pense que l’annonce de Libra par Facebook (projet de cryptomonnaie) a été un déclencheur très fort, parce qu’avant ça, la Blockchain passait toujours pour le sujet de geek dans son garage, un peu anarchiste, libertarien… et puis d’un seul coup, c’est devenu un sujet politique. Et puis surtout, Facebook est plus crédible que n’importe quelle startup. Forcément, ça interpelle. Après ça, j’ai vu changer l’attitude de bien des DSI, des DG, des CEO qui voient désormais de vraies perspectives dans la Blockchain.
Ça s’ouvre donc à d’autres domaines que la finance ?
De manière générale, comme je disais au départ, ça a quand même un prisme financier, c’est-à-dire que la technologie au départ est quand même faite pour gérer de la valeur en ligne, donc forcément, tout ce qui est financier est concerné. Et comme tout le monde a des finances dans ses entreprises, que ce soit la partie comptabilité, la partie achat, la partie financière tout bêtement, tout le monde est concerné.
Mais on peut tirer d’autres cas d’usage, qui peuvent concerner des entreprises de certains secteurs en particulier. Le jeu vidéo, par exemple, va être une industrie qui va être largement touchée, alors que ce n’est pas une industrie financière. C’est une industrie qui est nativement numérique. Le jeu vidéo, par définition, n’existe que sur un ordinateur, donc forcément, quand on leur parle de créer de la valeur en ligne ou gérer de la valeur en ligne, là y a un vrai sujet qui fait tilt, car si on connait un peu l’évolution des modèles de jeux vidéo, ces dernières années, aujourd’hui on n’est plus du tout sur un modèle dans lequel on vend des idées, c’est un modèle dans lequel, très souvent, le jeu est gratuit, et on va vendre des objets à l’intérieur du jeu. Ces objets, on a peut-être envie de créer de la rareté autour. On a ici une vraie prolongation, une vraie réinvention.
Quelle différence entre une blockchain publique et une blockchain privée ?
C’est une question importante et c’est la première que l’on se pose. En gros, dans une blockchain publique, on n’a pas besoin de permission pour entrer dans le réseau. C’est le cas pour toutes cryptomonnaies. On n’a pas besoin de demander à qui que ce soit la permission, pour télécharger le registre des transactions, se mettre à participer au réseau, à faire notre sécurité, etc. L’avantage de ces réseaux, c’est qu’ils sont les réseaux de rupture avec le système, car on sait maintenant coordonner des dizaines de milliers de personnes sur la planète, qui ne se connaissent pas, qui ne se font pas confiance, pour échanger de la valeur en ligne. C’est ce qui n’existait pas avant, et qui est, revers de la médaille, beaucoup plus risqué et immature. Tout le monde ne veut pas forcément aller dessus, mais c’est innovant dans le principe.
Les blockchains privées, comme leur nom l’indique aussi, ce sont des blockchains pour lesquelles à l’inverse il faut une permission pour entrer. Le problème de la permission, c’est qu’il faut définir qui l’octroi, donc très souvent ça finit soit sur un acteur tout seul, soit un consortium, qui lui-même est soumis à une gouvernance. Donc on est dans une utilisation non plus de rupture, mais incrémentale, d’optimisation, dans laquelle on arrive à faire mieux ce que l’on faisait avant, parce que l’on a une nouvelle technologie qui permet d’optimiser un process, réduire des délais, baisser les coûts, etc.
La plupart des entreprises sont entrées, dans les années précédentes, dans les blockchains par ces biais-là, les blockchains privées, ne serait-ce que parce que, même quand on veut expérimenter la blockchain publique, on commence par faire une sorte de réseau privé. C’est normal que tout le monde veuille entrer par là. Mais à mon sens il est essentiel d’évoluer.
Je peux constater que parmi toutes les entreprises que nous accompagnons, on touche de plus en plus aux blockchains publiques, et ça me réjouit, car en 2017 ou 2018, quand on parlait de blockchains, on ne voulait pas entendre parler de cryptomonnaies, on ne voulait que de la blockchain privée, bien maîtrisée, chez soi. On voulait de la blockchain, mais sans les risques. C’est en train de changer.
Si j’ai une entreprise et que je veux me lancer, comment ça fonctionne ?
La première étape, cruciale, c’est de comprendre ce qu’est une blockchain. Une conférence ou une formation permettent souvent aux décideurs ou aux équipes concernées de comprendre ce que c’est en détail, avec les bonnes informations. La réflexion peut être plus longue, plus stratégique, pour cerner les impacts que cela peut avoir sur l’entreprise, sur sa politique, son économie, et d’autres paramètres.
Certains vont directement tenter d’identifier des cas d’usage. Ils ont compris que ça pouvait être utile, ils veulent mettre un peu les mains dans le cambouis, soit pour éduquer en interne, soit pour attaquer directement un cas d’usage. Dans ce cas-là, on fait des ateliers avec nos clients, de choix, de travail sur des cas d’usage et on aide les collaborateurs que l’on a en face de nous à présenter devant des sponsors et des décideurs en interne, pour voir si oui ou non on va pouvoir lancer des projets, avec des budgets. Il nous arrive parfois de dire, à la fin de ces ateliers, qu’il n’y a pas de cas d’usage intéressant pour eux, et qu’on ne va donc pas continuer notre collaboration avec eux.
Lorsque des cas d’usages sont identifiés, reste à déterminer s’ils doivent être mis en place dans une blockchain privée ou publique. Dans le premier cas, il vaut mieux faire une expérimentation tout seul, pour voir si le client valide le concept. Une fois le concept validé, il faudra alors trouver des partenaires avec qui développer cette blockchain privée. C’est souvent là qu’arrivent les difficultés dans des projets de blockchain privée, car il faut convaincre tout le monde de se lancer ! Les partenaires, concurrents, fournisseurs, les clients, doivent installer un nœud chez eux, un serveur et là c’est compliqué, parce que c’est 5% de blockchain et 95% de droits et de gouvernance.
Si les cas d’usage identifiés sont plutôt autour d’une blockchain publique, c’est génial, parce que, déjà, c’est généralement un peu plus innovant, mais aussi parce que l’on n’a pas besoin d’aller chercher des partenaires chez qui installer de l’infrastructure. Par exemple, on peut citer un cas d’usage dans lequel on peut garantir l’intégrité d’un document dans une blockchain publique. C’est très simple, on prend un document quel qu’il soit, on en crée une empreinte numérique, et on va insérer cette empreinte dans une transaction sur une blockchain publique. Cela garantit l’intégrité et l’inaltérabilité de cette empreinte, et cela donne une sorte de certificat à ce document, qui n’a pas été altéré depuis qu’il existe. C’est un cas d’usage intéressant, car il n’y a pas besoin d’aller chercher qui que ce soit pour le faire. On prend les documents, on les hache, on les met dans la blockchain, on lance la transaction et c’est fini. Et ça coûte moins cher, c’est plus rapide, on peut le faire tout seul. Par exemple, Genève, aujourd’hui, certifie ses extraits K-Bis sur la blockchain Ethereum.