Quel retour d’expérience faire de la crise sanitaire ? Quels sont les enseignements à en tirer ? Nous avons posé la question à Tom Wouters, Managing Director Belgium & CPO de SD Worx, société spécialisée dans les solutions en ressources humaines, pionnière en matière de télétravail et de collaboration à distance. Il nous livre sa vision sur l'avenir de l’organisation du travail.
En tant que fournisseurs de solutions RH, vous étiez déjà organisé pour le télétravail ?
Oui ! Depuis 2008, nous recommandons à tous nos collaborateurs de travailler un à deux jours par semaine en télétravail. C’est un type d’organisation qui s’accorde bien avec notre activité mais la transition ne s’est pas faite en un claquement de doigts. Il faut avant tout une évolution technologique. Chaque employé doit être équipé d’un ordinateur portable muni des applications nécessaires et bien configuré. Au-delà de cet aspect technologique, il convient d’établir une relation de confiance et d’engagement avec les employés. Chacun fait l’apprentissage de l’autonomie et les méthodes de management évoluent également. Avec le temps, il s’agit de passer d’un management qui juge le travail de l’employé à une évaluation du résultat, par exemple par la satisfaction des clients. En termes techniques, on parle d’une migration d’un « input » vers un « output » management. En plus de 10 ans, nous avons appris beaucoup, avec des réussites et des erreurs, ce qui nous aide à mieux conseiller nos clients en la matière, aujourd’hui.
Comme avez-vous abordé le confinement et comment avez-vous géré vos collaborateurs en télétravail ?
Le maître mot est l’anticipation, même si passer brutalement de deux jours de télétravail à 100% fut difficile. Dans notre gestion des personnels, nous avions déjà élaboré des scénarios de crise pour réagir plus vite au cas où. Dès que l’épidémie s’est déclenchée en Chine, nous avons constitué une cellule de crise qui a suivi l’évolution et a prévu des mesures. Quand Wuhan a été confiné, nous avons développé une solution de travail à distance et nous avons tracé tout cas suspect dans l’entreprise ce qui nous a permis d’anticiper les mesures gouvernementales dans chaque pays. Ainsi, quand il s’est agi de passer à l’acte, en 24 heures, nous étions prêts.
Nous avions déjà une structure de télétravail adaptée à la moitié de nos effectifs qu’il a fallu doubler. Passer subitement de 2 000 à 4 000 employés à distance a demandé d’adapter la connectivité et l’infrastructure mais nous avons pu le faire progressivement car les différents pays n’ont pas eu le même agenda. Nous disposions de la technologie, il a juste fallu la renforcer. Quelle que soit la taille de l’entreprise, l’enseignement qu’il faut en tirer c’est qu’il est impératif de disposer des technologies nécessaires et d’une équipe de gestion de crise, toujours prête le cas échéant. Dans une petite entreprise, il peut s’agir d’une personne qui y consacre quelques heures de temps en temps.
Il y a un autre facteur essentiel qui a sans doute été souvent négligé par manque de préparation, c’est la communication avec le personnel qui dans de nombreux cas s’est senti bien seul et abandonné, rendant aussi la sortie du confinement plus difficile.
Pour que tout soit sécurisé, comment avez-vous procédé ? Ordinateurs fournis, consignes d’utilisation, VPN, Cloud privé ?
Un ordinateur portable configuré par employé qui sait s’en servir à distance, c’est la base. Pour la voix et la vidéo, il suffit de disposer d’outils standardisés comme Teams, dont chacun sait se servir. Ensuite, ce sont surtout les données sensibles qu’il faut sécuriser tout en les rendant accessibles à ceux qui en ont besoin, pour nous typiquement les données clients. Elles doivent être hébergés de manière sécurisée et leur utilisation doit passer par des tunnels VPN pour un usage en petite équipe. Cette séparation limite les besoins en infrastructure à ce qui est vraiment utile.
Votre société prône le collaboratif, comment avez-vous fait pour que cela fonctionne 100% à distance ?
Ce n’est pas une question de technologie, qui existe depuis longtemps, mais d’organisation avec des procédés établis pour travailler en groupe efficacement à distance. Nous appelons cela la transformation agile. Chaque petit groupe se réunit virtuellement d’une manière ou d’une autre en début et en fin de journée. Le matin, on décide des tâches à accomplir et de la répartition en fonction des possibilités de chacun, ce qui permet de s’entraider efficacement. Le soir, on fait le bilan et on prépare le lendemain. La taille idéale d’un groupe est d’environ 10 personnes car un plus grand nombre est difficile à organiser et un plus petit ne permet pas de s’entraider efficacement. Un tel groupe peut facilement s’autogérer et le management vertical peut être réduit. Là où une telle organisation était déjà en place, le confinement a été bien plus simple à gérer et le conseil sera donc de l’avoir fonctionnel tout le temps.
En bilan de cette période : quelles réussites, quelles difficultés ?
La plus grande difficulté a aussi été notre plus grand succès et concerne justement l’agilité et la réactivité. Dans notre cas, mais des situations similaires se sont présentées dans de nombreuses entreprises, il a fallu du jour au lendemain répondre à des demandes clients très nombreuses et variées. En effet, pour ce qui est des RH, les annonces gouvernementales qui se succédaient à un rythme effréné, et qui soulevaient souvent plus de questions qu’elles ne fournissaient de réponses, ont plongé nos clients dans le désarroi. Nous sommes passé de 2 500 appels jours à des pics de 10 000 qui nécessitaient tous des réponses précises à des problèmes complexes. Notre organisation par petits groupes et l’agilité nous ont permis d’y faire face et nos collaborateurs ont montré un engagement sans faille. Selon notre baromètre régulier de satisfaction clients, il était plus élevé après la crise qu’avant. Et en interne, ce défi nous a soudé. Cela montre que l’agilité et la flexibilité sont absolument essentielles dans ce type de situation.
De nombreuses sociétés ont été prises de court et ont dû gérer l’urgence, que faut-il faire pour pérenniser maintenant ?
Déjà ne pas revenir en arrière, ne pas perdre les bonnes habitudes et se dire cela ne se reproduira pas. Au niveau des équipements, il faut pérenniser et se dire que chaque employé, dont le travail ne nécessite pas impérativement une présence sur place, doit être doté d’un ordinateur portable sécurisé, équipé et configuré avec les bons outils. Ensuite, il faut officialiser l’organisation agile en groupes avec les bonnes pratiques, des mesures de performances et des règles. Là où c’est possible, cela devrait devenir l’organisation de base tout le temps car elle améliore la productivité et la motivation, même sans crise. Il ne faut pas négliger d’établir des règles car elles sont essentielles pour que tous les collaborateurs partagent la même vision. Il s’agit de transformer le management pour juger sur les résultats de la société et de chaque groupe. Tout cela demande de l’investissement dans un premier temps, c’est certain, mais améliore à terme la productivité et permet surtout de faire face bien plus efficacement à toute forme de crise.
Est-ce que vous allez conserver une proportion de télétravail plus importante, même après la crise et est-ce un conseil général à donner ?
Bien entendu. Aller de l’avant, ce n’est surtout pas revenir en arrière. Nous allons désormais viser 50% en télétravail et organiser notre collaboration dans ce sens. Nous allons conseiller à tous nos clients, quand c'est pratiquement possible, d’aller dans la même direction car le gain est évident, sans même parler des aspects écologiques, de l’empreinte et de la rentabilité immobilière. Nous allons aider nos clients à établir des règles en ressources humaines, d’être conforme à la législation, d’en tirer des avantages fiscaux. L’entreprise va vers une plus grande autonomie grâce au digital, en interne comme en externe, et cela s’applique aussi à l’organisation du personnel. Aujourd’hui plus personne ne va à la banque et règle tout de là où il est, cela doit être la même chose dans l’organisation du travail.
Est-ce que la crise sanitaire a aussi prouvé que le télétravail et la collaboration à distance étaient efficaces et productifs ? Est-ce que cela a pu convaincre les plus réticents ?
La crise a déjà montré que c’était possible, que les collaborateurs y adhèrent et que le télétravail fonctionne. Ensuite, tout dépend de la culture d’entreprise et de l’attitude de la direction. Ceux qui étaient déjà engagés dans un processus de modernisation vont sans aucun doute accélérer un passage partiel au télétravail et à la collaboration autonome. Pour les autres, ils sont face à une décision importante. Revenir en arrière par commodité et par peur de remise en question ou profiter de la démonstration pour engager un changement dans leur culture d’entreprise.