La puissance de calcul des ordinateurs actuels est phénoménale, mais pour certaines applications pointues, ce n'est pas assez. Biologie, sciences environnementales, cryptomonnaies ou Intelligence Artificielle sont autant de domaines qui réclament que des ordinateurs d'un type nouveau voient le jour. Zoom sur l'ordinateur quantique.
De l’électronique à la physique quantique
Un ordinateur classique (tablette, smartphone, etc.) est basé sur une logique binaire. C'est dû aux propriétés électriques des matériaux qui le composent, notamment du silicium. Dans un composant à base de silicium, soit il y a du courant, soit il n'y en a pas. « Un peu de courant » n'est pas pris en compte. Un tel composant ne peut donc avoir que deux valeurs, soit 0, soit 1. Ce 0 ou 1 est ce qu'on appelle un bit. Suivant les opérations que l'on souhaite effectuer, les bits peuvent correspondre à « oui » ou « non », « vrai » ou « faux », s’additionner pour représenter des valeurs, etc. Toute l'informatique repose sur cette logique binaire.
Mais lorsque l'on utilise des particules subatomiques à la place du silicium, les lois de la physique classique ne s'appliquent plus. On quitte l'électronique pour entrer dans la physique quantique, découverte au début du XXe siècle et dont on est loin d'avoir fait le tour. Un bit quantique (qbit) manie également des 0 et des 1, mais de façon fort différente, ce qui peut être très intéressant comme on va le voir.
Depuis quelques années, des recherches sont donc menées afin d'imaginer des machines qui pourraient en tirer parti : les ordinateurs quantiques.
Des logiques différentes
Pour comparer ordinateur classique et ordinateur quantique, imaginons deux épreuves.
Première épreuve : « pile ou face ». On décide que 0 représente le résultat « Pile » et que 1 représente le résultat « Face ». Avec un ordinateur classique, rien de compliqué. On lance la pièce, elle tombe par exemple sur « Face » et la machine répond 1, etc.
Si on fait la même chose avec un ordinateur quantique, la réponse sera par moment « 0 » et par moment « 1 ». Pourtant, il ne s'agit pas d'une réponse aléatoire. Dans le monde des particules subatomiques et donc en informatique quantique, tout est probabilité. Si la pièce est tombée sur « pile », il y aura au total plus de réponses « pile » que de réponses « face ». C'est ce hasard apparent qui avait fait dire à Einstein « Dieu ne joue pas aux dés ». C'est comme si l'ordinateur quantique donnait toutes les réponses possibles (on appelle ça une superposition d'états). C'est un calcul de probabilité qui détermine laquelle est la bonne.
Pour « pile ou face », c'est une méthode compliquée, mais que se passerait-il si la pièce tombait sur la tranche ? Un ordinateur classique ne pourrait absolument pas traiter ce résultat avec un seul bit. Pour un qbit en revanche, une pièce debout sur la tranche n'est pas un souci. Cela se traduit par autant de réponses « pile » que de réponses « face ».
Deuxième épreuve : trouver la sortie d'un labyrinthe. L'ordinateur classique procède par essai et erreur. On obtiendra un résultat après avoir essayé tous les chemins un par un, après avoir recommencé à chaque voie sans issue. On appelle cela le calcul séquentiel.
Un ordinateur quantique, lui, prend tous les chemins en même temps et fournit sa réponse quasi instantanément. Il ne répond pas : « voilà le bon chemin », mais « voilà tous les chemins existants ». Comme dans l'exemple de « pile ou face », la bonne réponse est plus souvent citée qu'une mauvaise. Pour trouver le bon chemin, il suffit d'extraire des résultats celui qui a eu la plus haute probabilité. Cette façon d'aborder les choses dans leur globalité est particulièrement efficace lorsqu'un problème est complexe. On appelle cela le calcul holistique.
Quel est l'intérêt ?
L'intérêt d’appréhender un problème complexe dans sa globalité réside dans la vitesse d'exécution. Le calcul séquentiel d'un ordinateur classique marche très bien, mais on voit sa limitation : plus le « labyrinthe » est complexe, plus il y a de chemins à essayer et donc plus il faut attendre avant d'obtenir la solution du problème.
En théorie, un ordinateur quantique pourrait se livrer à 1 million de milliards d'opérations par seconde, là où un ordinateur de bureau n'en effectue actuellement « que » 400 millions par seconde.
Avec les supercalculateurs non quantiques actuellement utilisés, on peut en multipliant les composants, ajouter de la puissance de calcul. Pour reprendre l'image du labyrinthe, ces machines n'empruntent pas tous les chemins à la fois, mais elles peuvent au moins en essayer plusieurs en même temps. Malheureusement, dans certains domaines, même ces supercalculateurs ne sont pas assez puissants ni rapides, d'autant que l'on ne peut pas ajouter des composants à l'infini. C'est notamment le cas lorsque l'on étudie des systèmes très complexes, tels les phénomènes météorologiques, la biologie, les variations de la bourse, le cryptage et décryptage instantané de milliards de données des cryptomonnaies, etc.
L'ordinateur quantique serait d'autant plus utile pour résoudre ce type de problématiques qu'il s'agit de systèmes dynamiques, qui évoluent pendant que l'on les étudie : le « labyrinthe » est gigantesque et en prime, les murs bougent en permanence !
Où en est la recherche ?
La mise au point de machines quantiques est complexe et progresse lentement. Les particules utilisées nécessitent pour fonctionner des températures négatives extrêmes seulement atteignables en laboratoire. Autre frein, ces particules subatomiques sont très instables et ont parfois des durées de vie très courtes. L'équivalent quantique du silicium n'a pas encore été découvert.
En attendant de mettre la main sur une particule quantique moins contraignante, la petite dizaine de machines quantiques expérimentales sont pour le moment des simulations qui fonctionnent sur des systèmes conventionnels.
Enfin, et ce n'est pas le moindre des problèmes, la physique quantique est loin d'avoir livré tous ses secrets. Diverses théories, parfois contradictoires, se côtoient. Actuellement, la mise au point d'ordinateurs quantiques se fait donc en parallèle de l'étude de cette science elle-même.
Très probablement, une fois au point, l'informatique quantique sera, dans un premier temps, réservée aux scientifiques et aux géants du numérique. Cela n’exclut donc pas que l'on puisse en bénéficier indirectement, mais il faudra sûrement patienter encore longtemps pour qu'elle arrive dans nos ordinateurs personnels.