Pour certains, l’intelligence artificielle n’existe pas ! Pour d’autres, elle est réelle mais son intelligence demeure discutable. En réalité, tout dépend de ce que l’on appelle IA et surtout de ce que l’on en attend ! Echanges de point de vue à l’occasion de AI Paris 2019 !
Pour la troisième année, AI Paris a rassemblé experts et autres sociétés spécialisées dans l’intelligence artificielle. Les visiteurs ont eu le plaisir de pouvoir écouter Luc Julia, VP innovation de Samsung et l’un des pères de l’assistant vocal Siri d’Apple. Sachant cela, il est plutôt étonnant de l’entendre dire « L’IA n’existe pas ». Propos qu’il pondère dans la foulée en précisant « celle d’Hollywood, celle qui fait peur dans les films ».
Qu’appelle-t-on aujourd’hui l’IA ?
Et si l’intelligence artificielle avait commencé en 1642 avec la Pascaline, cette machine à calculer inventé par Pascal. Mais peut-on parler véritablement d’intelligence ? C’est bien là que le débat débute. Car pour Luc Julia, l’intelligence artificielle dont il est question aujourd’hui est bien loin de l’intelligence humaine, elle est surtout mathématique ou technologique. C’est une intelligence qui se nourrit de données, on parle de machine learning, mais ce n’est pas une intelligence autonome qui, par exemple, pourrait prendre le contrôle comme le décrivent certains films catastrophe hollywoodiens !
Les exemples sont nombreux pour illustrer cette intelligence artificielle, non moins surprenante. On se souvient de la machine Deep Blue, en 1997, qui bat le champion du monde Garry Kasparov aux échecs. Luc Julia rappelle cependant que la machine est parvenue à battre le champion non pas parce qu’elle est devenue intelligente mais parce qu’elle avait à sa disposition, dans sa mémoire, tous les coups d’avance possibles. En somme, une question de capacité de calcul et de mémoire, ce qui ne rend pas l’évènement moins important d’ailleurs !
Autre exemple intéressant : la faculté de la machine à reconnaitre une image. Vers 2007, le Web (formidable base de données) est envahi par les chats ! Quoi de mieux pour entrainer les machines à reconnaitre un chat, et c’est un succès mais là encore, Luc Julia rappelle malicieusement que pour qu’une machine reconnaisse un chat (presque à chaque fois), il faut la nourrir avec 100 000 images quand il en faut deux pour un humain… De ce point de vue, l’intelligence artificielle est loin de l’intelligence humaine.
Dernier exemple pour achever la démonstration : 2014, le jeu de go ! Là encore, la machine DeepMind et son algorithme AlphaGo, battent le champion européen en titre de go, Fan Hui. La situation n’est pas la même que pour les échecs. En effet, avec les échecs, il est possible de répertorier tous les coups d’avance possibles. Pour le jeu de go, tous les coups ne sont pas connus. C’est donc la machine, grâce à sa puissance de calcul, qui parvient à faire un coup original (pour l’homme) ! Et quand on parle de puissance, cela signifie concrètement environ 2 000 processeurs et 440 kWh pour jouer. En somme, conclut Luc Julia, les méthodes de l’IA n’ont rien à voir avec les méthodes du cerveau humain. Et les deux intelligences sont bien différentes.
Du machine learning vers le self learning
Pour Luc Julia, dans ces conditions, l’intelligence artificielle n’existe pas. Pour le second intervenant, Bruno Maisonnier, l’intelligence artificielle doit surtout évoluer. L’entrepreneur français, père du robot Nao, s’intéresse à l’intelligence artificielle et poursuit un nouvel objectif avec sa société AnotherBrain : proposer une alternative en termes d’IA avec le self Learning. En résumé, l’IA connait plusieurs phases : celle de l’expert systems dans les années 80, le machine learning dans les années 2010 pour aboutir à une troisième phase souhaitée avec le self learning. L’objectif étant d’aller au-delà de l’IA basée soit sur des règles, soit sur des données, et d’arriver à une réelle intelligence qui transgresse les règles et se contente d’informations parcellaires.
Quelles différences entre les deux approches ? Le machine learning et le self learning de Bruno Maisonnier sont deux champs d’étude de l’intelligence artificielle. Le premier, aussi appelé apprentissage automatique utilise les bases de données pour apprendre. Deep learning, sous discipline dérivée du machine learning permet à la machine d’apprendre par elle-même. Bruno Maisonnier explique que le machine learning « permet de faire des choses incroyables » mais qu’il est confronté à des limitations majeures : il faut énormément de données et même avec les données suffisantes, le résultat n’est pas garanti. Il peut par exemple être biaisé, souvenons-nous de la mésaventure de Microsoft en 2016 avec son chatbot Tay devenu ultra raciste et sexiste en moins de 16 heures ! S’ajoutent les problèmes récurrents d’identification et de catégorisation. Par exemple, pour Luc Julia, le véhicule autonome (comprendre véritablement autonome) n’existera jamais car « on ne pourra jamais compiler tous les cas et situations possibles ».
L’humain parvient à conduire car il s’adapte ce que ne fait pas la voiture dite autonome, à moins comme le suggère Bruno Maisonnier que l’IA passe à la phase 3 ! Et c’est la vision de AnotherBrain : une intelligence « organique », inspiré par l’humain, frugale car demandant moins de données et d’énergie et « human-friendly ». Une intelligence artificielle « qui apprend toute seule, en temps réel ».
IA : La France doit revenir dans la course !
Cette optique à un autre intérêt, plus économique ! Ce n’est pas un scoop, la France n’est plus dans la course de l’IA ! Les recherches, les bases de données et même les investissements ne se trouvent plus dans l’hexagone. « Il y a encore peu, les cerveaux français étaient massivement implantés dans toutes les grosses entreprises de la Silicon Valley. C’était il y a 5 ou 10 ans. Depuis ça a changé ! » explique Bruno Maisonnier. Il y a de nombreux freins qui empêchent la France de rester dans la course : « il y a très peu de chercheurs en IA, environ 22400 dans le monde. Et pour les attirer, les salaires s’affichent en millions de dollars » La contrainte est donc financière mais aussi culturelle d’une certaine manière. La question des hauts salaires est surement plus délicate en France qu’aux US ou en Chine.
Il y a aussi des freins éthiques et le curseur n’est absolument pas placé au même endroit selon les pays. Bruno Maisonnier livre une analyse intéressante. Partant d’une étude qui fait un parallèle entre le niveau de QI d’une population et le développement d’un pays, il rappelle que certaines modifications génétiques visant à impacter le QI d’un individu sont en cours en Chine. La Chine fait de la recherche spontanée là-dessus et des expérimentations quand la France et d’autres sont plus frileux sur ces questions éthiques. Pas de jugement mais simplement un constat.
Pour autant, Bruno Maisonnier se veut optimiste, rappelant en citant l’exemple de Nokia, ex champion européen de la téléphonie, que les choses peuvent changer très rapidement. Il faut à la France retrouver son esprit d’entreprenariat, cet esprit et cette volonté qui l’a hissée au sommet au siècle dernier.